« Pour ce 1er mai 2025, nous voulons envoyer un message d’internationalisme »

Les choses qui unissent les socialistes à l’échelle mondiale sont aujourd’hui précieuses et rares. Le 1er mai est un tel jour et nous commémorons tous ceux et toutes celles qui ont lutté pour leurs droits contre ce système usurpateur qui mène notre monde au gouffre de l’existence. La lutte pour les droits des travailleurs et travailleuses est juste et importante, or dans le paradigme de la modernité démocratique, la critique du mouvement ouvrier est également importante. Mais avec la critique, nous grandissons, nous nous transformons et nous trouvons de nouvelles façons de faire face aux crises de la modernité capitaliste. Nous avons eu l’occasion de discuter avec des organisations amies qui mènent une lutte ouvrière et toutes ont des approches différentes de ce que signifie l’organisation d’une lutte contre l’exploitation à notre époque. Comme Rosa Luxemburg nous l’a enseigné, nous, l’expression « non capitaliste » de la société, sommes plus que de simples travailleurs et nous sommes sans doute une immense partie de la société. Si nous ne dépassons pas le cadre analytique du capitalisme, nous n’expliquerons pas la réalité de l’oppression et nous ne proposerons pas de solution pour sortir de l’exploitation. Nous nous sommes entretenus avec quatre militants et militantes – italiens, suédois et grecs – impliqué-e s dans les luttes ouvrières : l’Organisation centrale syndicaliste des travailleurs en Suède (SAC), l’Union anarcho-sindicaliste Rocinante en Grèce et deux syndicats locaux de travailleurs en Italie, Suddcobas et Multi. Nous leur avons demandé comment ils et elles évaluent les défis et les opportunités pour les luttes ouvrières aujourd’hui, comment ces luttes sont liées à la libération des femmes et de la société et quelles sont leurs perspectives pour l’organisation locale et internationale. La montée des régimes autoritaires et de l’industrie de la guerre, ainsi que l’appauvrissement des travailleur-ses sont ressorti comme des sujets centraux dans notre échange. Nous avons également discuté du rôle de l’organisation des femmes, pour lutter contre toutes les formes d’oppression et d’exploitation. Enfin, tous les quatre ont souligné l’importance d’une organisation locale démocratique et émancipatrice, articulée avec un mouvement international fort.

Montée du militarisme, des régimes autoritaires et approfondissement de l’exploitation

Le membre de Rocinante, en Grèce, mentionne les facettes croisées de la multi-crise du système : l’escalade du coût de la vie, la précarité du logement, la répression étatique, l’exploitation technologique sur le lieu de travail et l’effondrement écologique. Un autre aspect de cette crise est la militarisation, poursuit le militant : « Globalement, nous assistons à une militarisation et à une guerre accrues, qui vont de pair avec la logique économique du profit et de la domination impériale. » En Italie, la militarisation croissante de la société affecte également la classe ouvrière, comme l’explique Multi : « Le réarmement doit être compris comme un immense vol et une expropriation financière du salaire social pour l’achat et l’investissement dans les armes : soustraction de la richesse issue des dommaines de la santé, de l’éducation, d es besoins environnementaux. Il y a une puissante réorganisation industrielle vers une fonction de guerre : conversion au militaire, détournement des objectifs de l’infrastructure civile à des fins militaires ; et une mentalité de guerre imposée à la société et à la classe ouvrière : identification avec les ‘supérieurs’, compétition, discipline ».En ce qui concerne la montée des régimes autoritaires, le SAC souligne ce qui suit : « Les gouvernements autoritaires orchestrent une attaque contre les droits et les institutions démocratiques, dont beaucoup ont été créés par les mouvements de la classe ouvrière. Il est triste qu’une partie de la classe ouvrière soit incitée à penser que les régimes autoritaires peuvent l’aider à sortir de la crise qu’elle traverse, mais il est clair que ce ne sera pas le cas. C’est le terreau de la guerre et de la peur, pas de la paix et du bonheur. Les mouvements radicaux de la classe ouvrière sont essentiels pour éviter la dégénérescence vers la barbarie ». Le SAC appelle à une radicalisation de la résistance de la classe ouvrière à la menace autoritaire, en la transformant en une lutte active pour l’autodétermination. « Il s’agit là d’un élément crucial pour toute évolution vers une société libre. Cela peut se faire par le biais d’actions collectives sur le lieu de travail, mais aussi dans les conseils de quartier, les grèves des loyers ou les campagnes pour des logements abordables.”

Lutte mentale contre l’individualisation

Ces évolutions vont de pair avec une mentalité d’individualisation, affaiblissant le tissu social et la capacité de résistance collective. Le SAC suédois estime que « la plus importants victoirede l’ère néolibérale est qu’elle a réussi à éradiquer la croyance en l’action collective. L’individualisation a conduit les gens à croire qu’ils ne peuvent résoudre leurs problèmes qu’individuellement ». Les activistes italiens de Multi voient cette évolution dans un contexte global : À l’aube de la troisième guerre mondiale, la concurrence violente entre les États, les entreprises et les blocs capitalistes se reflète dans la société et la classe ouvrière est manipulée par le biais du « cannibalisme social ». La pédagogie de la cruauté est la grammaire qui décrit l’organisation du travail dans n’importe quel contexte. Le manque de solidarité et de reconnaissance, l’écrasement et l’absence de réciprocité, le harcèlement et l’objectivation des relations sont à la base de tout contexte social et économique. Notre tâche est de dé-naturaliser ces aspects, en renforçant une perspective d’unité et d’intérêts communs ».

Lutte des femmes

L’exploitation spécifique des femmes a également été mentionnée, étant donné que le travail domestique et reproductif reste le domaine presque exclusif des femmes. Plus généralement, nous avons discuté du rôle clé de la libération des femmes pour la libération sociale, en relation avec les idées d’Öcalan. « L’idée d’Öcalan selon laquelle le patriarcat précède et sous-tend la société de classes est cruciale. La domination des femmes a été la première oppression institutionnalisée, ouvrant la voie à des systèmes plus larges de hiérarchie et de contrôle. Le capitalisme s’est toujours appuyé sur la division du travail en fonction du sexe. Si l’on ne s’attaque pas au patriarcat, la lutte de la classe ouvrière est vaine », a déclaré le militant grec de Rocinante. Une membre du syndicat Suddcobas en Italie a expliqué comment le lieu de travail est également un lieu de lutte pour les femmes : “Le syndicat sur le lieu de travail peut être un espace d’organisation très important pour les femmes : les femmes connaissent souvent des conditions d’exploitation spécifiques, liées au travail de soins ou à ce que l’on appelle le ‘travail féminisé, caractérisé par des salaires inférieurs et l’imposition de conditions précaires spécifiques. S’organiser en tant que femmes sur notre lieu de travail est l’un des moyens possibles de découvrir la force de l’autonomie des femmes, une force concrète dont nous disposons si nous nous organisons ensemble, une force perturbatrice qui peut tout transformer, même dans des contextes ou des domaines de lutte traditionnellement très ‘masculins’. Enfin, “l’auto-organisation des femmes, en particulier dans les formations populaires et syndicalistes, apporte non seulement une critique du capitalisme, mais aussi de toutes les relations oppressives. La libération sociale – l’autonomie réelle – ne peut émerger que lorsque le pouvoir patriarcal, capitaliste et étatique est réduit à néant », ajoute le militant grec de Rocinante.

Vers l’autonomie locale et l’internationalisme

Les quatre militants et militantes ont insisté sur le fait que la lutte des travailleur-se s doit faire partie de la lutte pour l’autonomie sociale et sur l’importance de relier les luttes locales au niveau international. La militante de Suddcobas insiste sur le fait que les luttes ouvrières doivent aller au-delà des revendications salariales et évoluer vers « l’organisation démocratique de la société, la construction de communautés de lutte et la transformation des relations, la rupture de la ségrégation raciale et de genre. La lutte du collectif de l’usine GKN à Campi Bisenzio en est un exemple : il aspire non seulement à maintenir les niveaux d’emploi contre les licenciements dus à la restructuration capitaliste, mais aussi et surtout à transformer la façon de travailler et à faire des usines des lieux ouverts à l’ensemble de la société, dans lesquels nous pouvons nous organiser ensemble et produire de la culture, de l’art et renforcer les liens sociaux ». Malgré les défis à venir, le militant Rocinante de Grèce souligne les opportunités qu’offre cette période de crise : « Nous avons assisté à une recrudescence des grèves et des luttes syndica les de base dans tous les secteurs, des livreurs aux employés du secteur technologique. Dans les pays du Sud, le travail militant se poursuit malgré la répression. Notre tâche consiste à radicaliser ces luttes, à les relier au-delà des frontières, des lieux de travail et des identités, en vue d’une vision de l’autogestion et du pouvoir collectif au-delà du capitalisme ».

La militante de Suddcobas conclue : « Pour ce 1er mai 2025, nous voulons envoyer un message d’internationalisme dans ce sens : pour l’union de tous les exploités, hommes et femmes, mais aussi pour arrêter la guerre et le réarmement, pour construire des ponts avec les luttes et les résistances du monde entier et pour la convergence des luttes pour une vie plus belle. »