Maduro ou la droite : faut-il choisir ?

Une énième élection annuelle a eu lieu au Venezuela le 28 juillet 2024. Les chiffres officiels font état d’une courte victoire de Nicolas Maduro. Sans surprise, les candidats de droite qui dénoncent une fraude électorale ont été rejoints par la voix des États-Unis. Cependant, d’autres personnes se font entendre, non pas pour se joindre aux candidat-e-s de l’aile droite, Corina Machado et Edmundo Gonzales, mais en raison de la réalité dystopique dans laquelle ces personnes ont vécu ces dernières années sous le règne de Maduro et parce que la promesse du socialisme a définitivement été trahie.

La révolution bolivarienne et le système des communes

Hugo Chavez Frias était à bien des égards un visionnaire. Il avait de nouvelles idées quant à la manière de réaliser le rêve du socialisme. Jusqu’aux années 2000, plusieurs tentatives ont été menées de par le monde pour atteindre cette utopie : la plupart ont mené des États à la faillite. La volonté annoncée de prendre l’État et de le donner aux travailleurs, s’est soldée par un échec et a fini par donner des États capitalistes sous une sorte de vernis socialiste. Hugo Chavez en était conscient et a tenté d’y remédier en renforçant les structures démocratiques populaires – les communes. L’idée était de construire deux pouvoirs parallèles : le premier était l’État, dont l’objectif était de se déconstruire et de se dissoudre au profit du second, à savoir le système des communes populaires. L’un des moyens d’y parvenir était la législation. Les lois de transition étaient censées accélérer ce développement. Toute commune capable de remplacer une fonction gérée jusqu’alors par l’État avait le droit légal de recevoir les fonds nécessaires à cette tâche et, par conséquent, de remplacer l’État dans cette fonction, puisque l’objectif final était de le remplacer entièrement.

Malheureusement, il y avait une faille. Même si de nombreuses communes ont lutté, réalisé des changements importants et continuent de lutter aujourd’hui, beaucoup de groupes et d’organisations mal intentionnés ont cherché à tirer profit de cette loi et y sont parvenus. Une économie de la corruption s’est ainsi développée: des organisations douteuses prenaient en charge des missions de l’État, assuraient le service de manière très insuffisante et conservaient la majeure partie de l’argent. C’est ainsi que les citoyens se retrouvent avec des services publics incompétents et des groupes mafieux qui font de juteux profits. L’État n’est pas innocent dans cette affaire: des politiciens n’ont pas manqué d’enthousiasme pour participer à l’escroquerie et l’histoire de la corruption dans l’État vénézuélien est tristement célèbre.

Le virage de Maduro vers le néolibéralisme

En 2012, lorsque Hugo Chaves décède d’un cancer, Nicolas Maduro, son apprenti, est son successeur désigné à la présidence. Le peuple respecte la volonté de Chavez et Maduro prend ce poste, qu’il occupe depuis 12 ans maintenant. Sous la présidence de Maduro, la situation se dégrade. Même si bon nombre des problèmes structurels ont commencé à l’époque de Chavez et que la trajectoire suivie par Maduro s’est clarifiée, on peut affirmer que la période sous Maduro s’est éloignée des politiques envisagées par Chavez, s’orientant même vers une forme assez sauvage de néolibéralisme, rejoignant parfois les politiques proposées par l’opposition classique de droite de la classe supérieure.
Il est certain que l’embargo mis en place par les États-Unis a eu de graves répercussions sur l’économie et la situation de la population vénézuélienne. Mais il n’explique pas à lui seul la situation difficile que le peuple a vécue au cours de la dernière décennie. Le salaire minimum est passé de 500 USD à 3 USD pendant le règne de Maduro; les travailleurs qui protestaient contre ces réformes ont été condamnés à des peines de prison. Ces pratiques du gouvernement de Maduro nous rappellent celles de ses proches alliés internationaux, tels l’Iran, la Turquie et la Syrie, dont il semble s’inspirer dans sa politique de plus en plus autoritaire. Il a atteint son point culminant en qualifiant le dictateur génocidaire Tayyip Erdogan de « grand frère » lors de la cérémonie d’investiture du président turc. L’alliance avec ces États despotiques est présentée comme une forme d’axe anti-impérialiste afin de convaincre les partisans socialistes du gouvernement de la légitimité de cette alliance impie. À ce sujet, le membre du Conseil exécutif du KCK s’est exprimé comme suit : « Quant à l’affirmation selon laquelle l’État de la République de Turquie et le régime fasciste AKP-MHP sont anti-américains, il est impossible de fournir la moindre preuve sérieuse pour vérifier cela. Tayyip Erdoğan a fondé l’AKP et est arrivé au pouvoir avec la permission et le soutien de l’administration américaine » (Note 1 : Duran Kalkan, https://kck-info.com/interviews-kalkan111123/). On peut alors se demander s’il est possible d’être socialiste sans tenir compte de l’éthique dans le choix de ses alliances stratégiques. Peut-on se dire révolutionnaire quand nos amis sont parmi les pires ennemis des mouvements populaires révolutionnaires dans le monde ?

Les élections de 2024 – droite ou gauche ?

Qu’est-ce qui amène ces personnalités progressistes de gauche à se pervertir dès qu’elles sont touchées par les ors du pouvoir?

Vous souvenez-vous du leader étudiant qui a participé aux soulèvements contre la politique néolibérale du gouvernement chilien, pas plus tard qu’en 2019 ? Devenu président, l’un de ses derniers hauts faits a été de militariser les terres du peuple indigène Mapuche. La présence d’hélicoptères et de militaires sur leurs terres est devenue monnaie courante et la vente des ressources naturelles à des sociétés transnationales, un petit travail d’appoint. Gabriel Boric n’est qu’un exemple parmi d’autres, peut-être le pire. Il illustre la façon dont les promesses du socialisme, de la révolution et de la démocratie sont corrompues entre les mains de gouvernements progressistes. Nous pourrions également citer Lula, Petro ou l’un des pionniers, Correa, mais le tableau est suffisamment clair. Ajoutons à cela la liste des États socialistes du siècle dernier tombés en faillite. Ils ont également trahi l’espoir de millions de socialistes. Que s’est-il donc passé ? Quel est le dénominateur commun de ces expériences et de ces personnalités qui ont déraillé ?

L’État n’est pas un discours, c’est une mentalité

Qu’est-ce que l’État ? Certainement beaucoup de choses. Souvent abrité dans des monuments architecturaux impressionnants, l’État, c’est aussi les personnes qui administrent les postes à l’intérieur de ces bâtiments et les pouvoirs qu’elles détiennent. Mais pour comprendre l’État et le faire périr, comme la plupart des projets socialistes en avaient l’intention, nous proposons de le définir comme beaucoup plus omnipotent. L’une des caractéristiques de l’État-nation moderne est qu’il ne s’appuie pas uniquement sur des structures physiques ou formelles. Il va plus loin et s’appuie sur ce qu’il y a de plus proche de nous: nous-même, les individus. Si nous nous réveillions un jour et décidions de ne pas écouter les décisions de l’État, celui-ci se désintégrerait tout aussi rapidement et deviendrait inutile. L’État dépend de nous pour exercer son pouvoir. Si nous ne l’acceptons pas, il devient impuissant.
En remontant le cours de l’histoire de l’État jusqu’à ses débuts, vraisemblablement au Moyen-Orient il y a environ 5 000 ans, nous voyons comment les premiers États se sont formés à partir de l’alliance entre les chasseurs, les chamans et les hommes les plus âgés de la société. Lorsque ce groupe a vu la possibilité d’exploiter le reste de la société sur la base du surplus généré par la révolution agricole, il a entamé un processus en vue de sécuriser et d’accroître de son pouvoir sur le surplus en étendant ses fonctions. Pour en revenir à notre époque, nous voyons l’alliance de la triade chasseur-chaman-éleveur sous la forme actuelle de l’État-nation, incarnée par la force militaire, le pouvoir de la science et le pouvoir politique de l’élite. Cette antique triade constitue un tournant dans la mentalité humaine qui cause la décadence morale et permett l’exploitation de « l’autre », réprouvée jusqu’alors. C’est cette même décadence qui est presque idéalisée et portée aux nues aujourd’hui. Devenir riche est une ambition incontestable dont le coût moral est à peine considéré.

Il s’agit d’une mentalité masculine dominante, l’essence et le cœur même de ce qu’est l’État. Une structure de pouvoir mental et physique visant à assurer l’exploitation permanente de tous et de tout.
Ce qu’Abdullah Ocalan, à travers le nouveau paradigme, propose comme réponse aux dommages historiques causés par l’État, c’est une reconstruction de la « société morale-politique ». La société a été détruite, elle qui est l’expression d’individus qui se rassemblent et protègent ce qui est dans leur intérêt : leurs organisations, l’environnement et toutes les belles choses de la vie. Une société forte désavantage l’État, car elle peut se protéger de l’exploitation. Une société dotée d’un sens moral fort peut également distinguer le bien du mal, ce qui constitue également un problème fondamental pour le capitalisme puisque faire le mal est sa force d’existence.

Priver une société de sa capacité politique d’action revient à accepter que si elle découvre l’Etat pour ce qu’il est – défenseur des crimes capitalistes, destructeur de la nature – elle ne pourra pas y mettre un terme, étant dépourvue de pouvoir

Lorsqu’Öcalan, dans ses écrits de prison, parle de la « troisième voie » politique, c’est ce qu’il propose. Nous n’avons pas besoin de nous tourner vers un quelconque pouvoir étatique pour trouver ce dont nous avons besoin pour résoudre nos propres problèmes. Nous pouvons nous organiser, reconstruire notre société, nous éduquer et lutter contre la mentalité patriarcale capitaliste qui nous a infectés et nous organiser pour avoir la capacité politique de répondre aux attaques de n’importe quel État, local ou étranger. Nous pouvons nous tourner vers le Kurdistan et plus particulièrement vers le Rojava pour voir comment cela se fait dans le monde réel. L’idée ici n’est même pas d’anéantir l’État. puisque ce type d’approche dialectique dure a conduit à plus de destruction que de construction dans l’histoire des mouvements socialistes. L’idée est de remplacer l’État en subvenant à nos propres besoins et en rendant ainsi l’État inutile et moribond. Si l’État l’accepte, nous aurons la paix, sinon nous avons le droit de défendre nos acquis. Tout comme le peuple vénézuélien a le droit de défendre ses communes contre les attaques de politiciens corrompus ou de bandes criminelles.

Mais nous n’avons pas pour mission de dire à une nation comment elle doit mettre en pratique ces idées sur son territoire. Une partie essentielle d’un effort socialiste et démocratique est de développer la force de décider par soi-même de la bonne et de la mauvaise façon de faire les choses dans son propre contexte. Nous ne pouvons que proposer et inviter à un dialogue sur les alternatives. Nous pensons qu’il existe des alternatives à l’État-nation et nous pensons qu’en cette période historique, les peuples du Kurdistan et du Chiapas montrent que c’est vrai. Nous adressons nos salutations et notre soutien au peuple vénézuélien qui cherche une nouvelle voie, une troisième voie, pour sortir de la crise imposée par les États. Il existe une voie vers la véritable démocratie populaire et digne !