Des milliers de personnes dansent dans les rues de Belém, une ville amazonienne choisie pour accueillir la COP30, où les représentant-es des États-nations se sont réunis pour discuter de la manière dont ils vont faire face à la crise climatique. Vêtus de vêtements bleus et de chapeaux de paille, les gens bougent en synchronisation au rythme de la batucada, dans un enchaînement complexe de mouvements. Une marée humaine exprimant à l’unisson son héritage culturel. Les 70 000 participants à la marche affirment que « nous sommes la solution » en réponse au sommet des États-nations. Ils déclarent que la COP n’est pas la solution à la crise climatique, mais que le peuple peut l’être.
De l’autre côté de cette ville coloniale, une scène très différente se déroule dans le complexe principal de la COP30. De nombreux hectares d’arbres ont été abattus pour le construire et, lorsque vous parcourez ses immenses halls climatisés, avec leur gazon artificiel et leurs files de personnes attendant de recevoir un prêt d’une banque « verte », vous êtes envahi par des sentiments mitigés. En tout cas, vous n’avez pas l’impression de lutter contre la crise climatique en participant à cet évenement. La confusion est encore plus grande lorsque l’on vous remet en cadeau de bienvenue de l’« eau propre de l’Amazonie » dans une canette en aluminium.
De retour parmi la foule participant à la Marche mondiale pour le climat, tous affirment s’être rassemblés à l’événement anti-COP, également connu sous le nom de Sommet des peuples (Cúpula dos Povos), pour trouver des solutions à la crise climatique. Si vous posez la question aux personnes présentes dans la zone bleue du complexe de la COP, elles vous répondront probablement la même chose : elles sont là pour résoudre la crise climatique.
L’Académie de la modernité démocratique, le Mouvement des femmes du Kurdistan et le Tev-Eko (Mouvement écologique de la diaspora kurde) ont décidé de se rendre à Belém pour le découvrir.
Que sont le Sommet des peuples et la COP30 ?
Le troisième jour du sommet, il s’est mis à pleuvoir abondamment, et la force de la pluie a fait trembler les bâtiments. Quelques heures plus tard, nous avons appris que plusieurs quartiers de Belém avaient été inondés, l’eau atteignant les rues autour du complexe de la COP30. Une fois de plus, nous avons pris conscience que la crise climatique n’est pas un cauchemar abstrait, mais une réalité dont souffrent actuellement toutes les régions du monde. On peut affirmer sans risque que la crise climatique est le problème le plus urgent de notre époque.
Face à cette crise, même les États-nations se sentent obligés d’agir. C’est pourquoi, en 1992, ils ont formé la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC) et, depuis lors, 30 sommets ont été organisés pour négocier des objectifs de réduction des gaz à effet de serre.
Au fil des ans, la crise climatique est devenue plus évidente et plus urgente, et les critiques à l’égard des sommets de la COP se sont durcies. Conçus au départ comme un moyen de lutter contre la crise climatique, il est de plus en plus évident qu’ils ne parviennent pas à atteindre leur objectif. Ce sentiment a donné naissance au mouvement « anti-COP », qui a commencé à prendre forme après le sommet de Copenhague en 2009. Le premier sommet anti-COP, la Rencontre mondiale pour le climat et la vie, s’est tenu à Oaxaca, au Mexique, en opposition au sommet COP29 qui s’est tenu à Bakou, en Azerbaïdjan, l’année dernière.
Depuis deux ans, la « Copola dos Povos » (Sommet des peuples) organise des événements anti-COP qui rassemblent plus de 1 200 organisations signataires d’un manifeste appelant à trouver une solution au dysfonctionnement croissant de la COP. Le Sommet des peuples a accueilli 15 000 délégués, principalement originaires du Brésil, mais aussi du monde entier.
La raison invoquée pour choisir Belém comme ville hôte de la dernière édition de la COP était qu’il s’agit de la « porte d’entrée de l’Amazonie », mais il faut également tenir compte de la signification historique de cette affirmation. Belém a joué un rôle stratégique dans la colonisation de la région amazonienne. Fondée le 12 janvier 1616, elle a été établie comme bastion militaire afin d’empêcher d’autres puissances coloniales d’accéder aux trésors que les Portugais s’étaient appropriés. Toutes les communautés autochtones de la région sont bien conscientes de ce fait historique, ce qui explique en partie pourquoi de nombreuses personnes ont eu envie de défoncer la porte de la COP30 et de prendre d’assaut ses salles le deuxième jour du sommet.
Comment fonctionne le Sommet des peuples ?
Le Sommet des peuples rassemble divers mouvements sociaux et communautés qui affirment que la COP a prouvé son incapacité à résoudre la crise climatique et que la solution réside au sein des communautés elles-mêmes. Au cours de ce contre-sommet de six jours, des tables rondes ont été organisées sur un certain nombre de thèmes clés. Des assemblées générales et thématiques ont été organisées, et à la fin, une déclaration a été rédigée sur la base des processus en cours lors des centaines de réunions tenues. La déclaration a été remise à la présidence de la COP30 lors d’une cérémonie, puis discutée à l’ambassade du peuple, qui faisait partie de la zone de la COP30.
Outre ses méthodes formelles, le Sommet des peuples offre un espace important aux mouvements sociaux du monde entier pour se rencontrer et tisser des liens plus solides en vue d’une lutte mondiale plus unifiée contre la crise écologique.
Comment fonctionne la COP ?
La COP (Conférence des Parties) est l’organe décisionnel de la CCNUCC (Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques). C’est un lieu où les « parties » négocient. Chaque État membre envoie une délégation composée de représentants de l’État et de membres de la société civile, tels que des groupes autochtones et des ONG. Ces négociations définissent de nouveaux objectifs de réduction des émissions toxiques.
Parallèlement, la COP est également devenue un lieu où des subventions et des fonds sont distribués ou promis aux différentes organisations représentées au sommet. Cette pratique a été vivement critiquée, car elle permet aux pays les plus polluants d’échapper aux critiques en achetant leur salut. Même d’un point de vue capitaliste, l’investissement annuel nécessaire pour atteindre les objectifs est de 7 400 milliards de dollars, mais seuls 1 600 milliards de dollars environ sont accordés chaque année. Cependant, cela laisse penser que nous pourrions acheter notre sortie de la crise climatique.
Qu’est-ce que la crise climatique ?
Dans son ouvrage en cinq volumes intitulé « Le Manifeste de la civilisation démocratique », Abdullah Öcalan aborde l’importance de l’écologie, les attaques systémiques contre la nature et la rébellion de la nature contre ces attaques dans la quête d’une vie libre et écologique. Par exemple, il remet sérieusement en question le rôle de la science moderne dans nos problèmes sociaux actuels. La question suivante se pose : si la science était censée éclairer et offrir des solutions à nos problèmes, pourquoi sommes-nous dans une situation aussi catastrophique ? La science est en fait devenue un outil permettant de légitimer l’attaque du système capitaliste contre la nature par le biais d’institutions telles que la COP. Des faits et des données scientifiques supposés vrais sont utilisés pour détruire la vie elle-même et transformer la nature en source de profit. Cela nous montre que la crise climatique est intimement liée à une crise profonde du concept de vérité.
Un système qui exploite la nature en échange de profits doit d’abord séparer l’existence humaine de son lieu de naissance : la nature elle-même. Si la société se sentait connectée à la nature, comment pourrait-elle être chargée d’exploiter et de détruire la nature à des fins lucratives ? Ainsi, l’objectif premier du système civilisationnel est de séparer l’humanité de la nature. Pour y parvenir, le système a identifié les femmes comme la cible principale. Elles sont les gardiennes historiques de la vie. Elles donnent naissance, rassemblent la société autour d’elles, transmettent le langage et la sagesse à la génération suivante et protègent l’équilibre entre la société et la nature. Elles constituent donc le premier obstacle que le système patriarcal doit détruire pour exploiter la nature.
Öcalan décrit la relation étroite entre la société et la nature, expliquant que ce lien est une cible privilégiée du système de profit : « Nous devons comprendre que l’aliénation des autres êtres humains qui se développe au sein de la société en raison de la domination entraîne une aliénation de la nature, et que les deux deviennent indissociables. La société elle-même est, par essence, un phénomène écologique. Par écologie, nous entendons la nature physique et biologique sur laquelle repose la formation de la société. »1 Il souligne en outre que la société n’est pas séparée de l’écologie ; au contraire, la société est une création de l’écologie. Ainsi, attaquer la nature revient à attaquer la société elle-même. Öcalan poursuit en expliquant l’ampleur des conséquences de ces couches de séparation : « Les humains peuvent toujours réajuster l’ordre interne de la société, car la réalité sociale est une création humaine, mais il n’en va pas de même pour l’environnement. Si des liens environnementaux importants sont rompus à la suite des actions de groupes organisés autour du profit et du monopole du capital opérant au-dessus de la société dont ils sont issus, des catastrophes évolutives dans une réaction en chaîne pourraient exposer l’environnement et la société à une destruction massive. »2
En d’autres termes, la crise climatique ne peut être réduite à une question d’investissement en capital. Elle trouve plutôt son origine historique dans la tentative du système civilisationnel de changer ce qui est vrai pour les sociétés depuis des milliers d’années : que la nature est notre lieu de naissance et la condition de l’existence de la vie et de la société. Face à l’impact de plus en plus évident de ce mensonge historique, les effets de la crise climatique devenant chaque jour plus pressants, le système capitaliste tente de faire face à la crise avec les outils qu’il connaît : le capital. Les sommets de la COP deviennent ainsi des espaces où les États peuvent gagner du temps face aux mouvements sociaux et où les capitalistes peuvent transformer la question climatique en une nouvelle opportunité d’investissement, tandis que la transformation du système reste loin de l’ordre du jour. La présence de 1 600 lobbyistes des énergies fossiles à la COP le montre clairement.
« […] la relation entre le chaos que connaît le système social capitaliste et la catastrophe environnementale est dialectique. Les contradictions fondamentales avec la nature ne peuvent être
surmontées qu’en rompant avec le système. »3
La sortie de la crise climatique
Lorsque les communautés autochtones ont défilé dans les rues de Belém et dans la zone bleue de la COP30, elles ont scandé « Nous sommes la solution ». Cela souligne leur rôle essentiel dans la lutte contre la crise climatique. La relation entre la nature et la société a été rompue, et nous devons réparer les dégâts. Öcalan fait écho à cette idée lorsqu’il écrit : « La rationalité ou la moralité d’un système social qui ne nous intègre pas dans la nature ne peut être défendue. »4 Il ne fait aucun doute que le sujet le plus important pour tout sommet visant à guérir la nature est l’intégration de la société dans la nature. Plutôt que de maintenir le système actuel et d’accepter « le moindre mal », nous devons remettre profondément en question ce système et construire un système de vie et une société en harmonie avec les besoins de la nature et qui apprennent à s’y intégrer à nouveau.
« Lorsque nous nous serons débarrassés des chaînes infernales de la modernité, à savoir le profit, l’industrialisation et l’État-nation, nous pourrons à nouveau mener une vie qui a du sens. »5 Nous ne recherchons pas un nouveau modèle économique, une astuce pour convaincre nos adeptes ou une subvention pour un projet intéressant. Nous recherchons un sens à notre vie et essayons de redécouvrir la beauté de l’existence. Pour y parvenir, Öcalan poursuit : « La caractéristique déterminante de cette phase est le début d’une rupture avec la vie orientée vers l’État en général et avec la vie capitaliste moderne en particulier. »6 Cette transformation de la vie en une existence écologique et pleine de sens ne peut être réalisée que par un changement systémique à partir de la base. Le paradigme de l’État n’a rien à offrir qui nous permettrait de nous approcher de cet objectif. En fait, l’État cherche par tous les moyens à échapper à un mouvement vers un changement réel et systémique, et il combattra la véritable justice climatique jusqu’au bout, en utilisant toutes les astuces possibles.
Le Mouvement de libération du Kurdistan propose de construire un nouveau système inspiré des sociétés ancestrales qui nous montrent déjà la voie. Le mouvement vise à redécouvrir et à réaliser une société écologique à notre époque. « Tout le discours sur l’équilibre écologique et la société écologique ne prend sens qu’avec la transition d’une société aliénée de la nature et de l’environnement, imprégnée de pouvoir depuis le début de la civilisation, vers une société socialiste. »7 Dans son sens le plus pur, le socialisme est la réunification de toutes les entités séparées de notre monde. C’est l’unification de l’humanité avec la nature, de la femme avec l’homme, et la guérison de notre être intérieur, unissant nos mondes intérieur et extérieur. En bref, c’est la réunification de nos émotions, de nos pensées et de nos actions.
Le Sommet des peuples pourrait-il résoudre la crise climatique ?
Toute société prête à remettre en question le statu quo du système capitaliste mondial a le potentiel de faire partie de la solution. Afin de lutter contre le système capitaliste, nous devons reconstruire notre village mondial et les relations au sein et entre nos communautés. Le Sommet des peuples s’est révélé très prometteur à cet égard. « L’une des tâches qui nous attendent consiste à renforcer les organisations existantes qui œuvrent pour mettre fin aux catastrophes environnementales naturelles sous tous leurs aspects et à les intégrer pleinement dans la société démocratique, ainsi qu’à renforcer la solidarité avec le mouvement féministe et les mouvements de femmes en faveur de la liberté. L’intensification et l’organisation de la conscience environnementale constituent l’une des activités les plus importantes de la démocratisation. »8 Lors du Sommet des peuples, nous avons vu un mouvement féministe fort prenant le rôle d’avant-garde, ainsi qu’une forte présence des communautés autochtones, des agriculteurs et des communautés d’ascendance africaine.
Si le Sommet des peuples présentait de nombreux aspects prometteurs, nous sommes encore plus préoccupés par ce qui s’est passé avant et ce qui se passera après. Comme cela a été dit, « nous sommes la solution ». Nous devons donc parvenir à un stade où nous ne nous contentons pas de nous mobiliser autour d’une initiative créée par les États-nations en tant qu’anti-COP. Nous devons plutôt transformer nos vies et nos processus politiques afin que notre existence tout entière devienne un grand sommet des peuples. Nous devons construire nos communautés locales et relier les communautés du niveau local au niveau mondial. Nous sommes véritablement la solution si nous parvenons à un niveau d’organisation mondiale capable de penser et d’agir de manière claire et synchronisée. La crise climatique est mondiale et systémique, la solution populaire doit donc l’être aussi.
Il a récemment été annoncé que le prochain sommet de la COP se tiendrait en Turquie. Il sera intéressant de voir comment le Mouvement de libération du Kurdistan répondra à ce défi. Compte tenu du caractère autoritaire de l’État turc, sera-t-il possible pour eux d’être présents ? Acceptera-t-il une forte présence du mouvement kurde ? Acceptera-t-il tout mouvement populaire susceptible de remettre en cause le rôle de la COP ? Le Mouvement de libération du Kurdistan considérera-t-il cela comme une occasion historique de jeter des ponts avec les mouvements écologiques en Turquie et dans le monde entier ? Ou bien son refus de participer sera-t-il une prise de position politique pour empêcher la COP de se prétendre à l‘initiative dans la lutte mondiale contre la crise climatique ? Nous devrons attendre pour le savoir.
1Beyond state, power and violence (2022), A. Öcalan
2Sociologie de la liberté (2023), A. Öcalan
3Öcalan (n 1)
4ibid
5Civilisation : l’ère des dieux masqués et des rois déguisés (2020), A. Öcalan
6Öcalan (n 1)
7ibid
8ibid
